La souffrance peu reconnue des enfants de parents en souffrance psychique le risque d’enfants « abimés » psychiquement, au bord de l’abîme…. »

Auteur : Christelle Bausson

« Docteur, je voudrais savoir quelle maladie à ma mère »

Introduction :


    La maladie mentale, les troubles mentaux sont encore tabous, vécus trop souvent dans la culpabilité et dans des « non dits » dans les familles des enfants, mais encore parfois par le milieu soignant, voir par le corps enseignant.
L’information donnée à l’enfant sur son proche parent reste parfois lacunaire, sous le joug du secret médical, la famille ne sait pas vraiment de quoi souffre son proche malade, même si de plus en plus ces dernières années des efforts sont faits à ce sujet.

Un autre point est évoqué :
Des résistances importantes de la part des adultes sont à l’œuvre et dans les familles et dans les institutions.
Pourquoi ?
L’enfant est en première ligne et sent autour de lui « un vécu d’étrangeté » qu’il saura nommer si on lui en donne l’opportunité comme étant désagréable à vivre pour lui.

C’est une grande question déontologique qui fait encore débat et qui n’est pas tranchée, donner le diagnostic ou ne pas le donner.
Nous ne rentrerons pas dans ces questions-là dans ce texte, nous pensons simplement que nous, professionnels du soin psychique, mais aussi et surtout le corps social, devons entourer les enfants aux prises avec ces vécus difficiles, lorsqu’ils posent des questions, en particulier  sur la maladie psychique d’un parent de façon mieux adapté qu’aujourd’hui.  L’aide thérapeutique individuelle, familiale et/ou groupale s'avère plus que nécessaire.

Autour de ces questions, il semble y avoir des difficultés à s’adresser à l’enfant.
La peur de le blesser, le désir de le protéger.
Les difficultés des adultes sans doute à  trouver « les mots pour le dire ».
    Pourtant, en tant que psychologue, je peux en témoigner, la peur de la parole, les réticences, sont parfois plus présentes chez les adultes que chez les enfants et les jeunes , notamment quand ces derniers vivent au quotidien avec leurs parents. S’ils n’osent pas en parler, c’est qu’ils sentent la réticence des adultes à en parler, alors ils se rendent « doublement protecteurs » ce qui peut renforcer une tendance qu’ils mettent déjà trop à l’œuvre dans leur vie personnelle à « protéger » leur parent malade.
Alors ces enfants apprennent en définitive à protéger «  tout le monde «, ce qui les maintient loin de leurs besoins de départ qui est de vivre simplement « l’insouciance de l’enfance » et de naturellement rester centré sur leurs besoins d’enfants.

La maladie psychique et mentale, des contours flous :

Dans le sens commun, lorsque nous envisageons un problème pathologique chez un parent, nous pensons rarement à la maladie mentale.

On se réfère plus généralement à une affection chronique (une maladie physique ou un accident somatique), qu’à une affection psychiatrique, considérée encore comme un tabou dans une société qui prône majoritairement le conformisme comme seul rapport à  une normalité.

Les affections mentales sont très variées. On ne connaît pas toujours l’évolution d’une maladie mentale, ni son issue.     
Malgré les progrès considérables de la psychiatrie, de la pharmacologie et des neurosciences, ces pathologies du psychisme ne sont jamais faciles à diagnostiquer ou à traiter.
L’enfant d’un parent malade psychique est confronté de manière précoce à une souffrance psychique qu’il ne comprend pas mais qu’il ressent avec une vigilance et une acuité psychologique souvent fine.


L’enfant confronté à la souffrance psychique d’un parent a besoin de comprendre pour s’en sortir. Il a besoin d’en parler.
Les intervenants ont d’autant plus de mal à cerner les difficultés des enfants que tout dépend de la sévérité des troubles et du degré d’atteinte de la maladie du parent.
    En effet, parfois une maladie mentale stigmatisée considérée «  grave » habituellement dans ses symptômes  n’envahit pas tant que ça les proches au quotidien, car le malade est bien stabilisé (suivi adapté autour de lui, trépied solide, médecins, psychiatres) ou présente peu de crises, comme à d’autres moments cela peut être de nouveau « l’enfer » à la maison.

Parfois ça allait pendant plusieurs années, mais la maladie s’aggrave.
Il y a beaucoup de « hauts » et de « bas » dans le parcours de ces familles et à chaque fois cela peut impacter douloureusement l’enfant.
Les situations de ces familles sont complexes, pour autant nous devons nous en soucier et les soutenir.

Argument d’ordre sociétal ;

    L’enfant est le premier témoin, pourquoi ne pas être là pour le soutenir dans ces questions, de manière progressive ?
Pourquoi ne pas partir de là oû, il en est pour ne pas que cette réalité médicale, douloureuse, soit vécue de manière effrayante pour lui ?

«  Qu’as-tu compris, toi, des difficultés que rencontrent ta/ta mère/père ?» etc

Au plan intime, la maladie psychique renvoie chacun à sa propre vérité.

Au plan systémique, elle nous confronte à des transactions particulières avec ceux qui souffrent.     

Aux prises avec sa propre souffrance psychique, la personne malade mentale n’a souvent pas conscience des difficultés qu’elle crée à ses proches et se trouve dans l’incapacité à voir la souffrance induite chez  l’autre.

Un enfant qui est témoin du fait qu’un parent est différent des autres, qu’il manifeste des comportements  difficiles à comprendre et qui constate que l’entourage agit comme si tout était normal, ou comme s'il tentait de cacher quelque chose à l’enfant peut en arriver à douter de ses sens et de son ressenti. 

C’est alors dénier la réalité de l’enfant.

Ces comportements adultes sont à risque de maintenir l’enfant dans une situation de « double lien » (double contrainte, dans une impasse…)
« mes sens me disent quelque chose de précis que je ressens, mais tout le monde  dans mon entourage agit comme si  ce que je ressentais n’était pas vrai en faisant comme si tout était normal »

Cet enfant déjà mis à mal narcissiquement par la situation qu’il vit avec son parent va venir douter de « ses sens » pensant qu’il se trompe.
Il peut même se rendre responsable de la souffrance du parent, puisque les interactions du parent sont difficiles avec lui aussi.

(en effet, rappelons que la maladie mentale est prise dans les interactions, les enfants et jeunes reçoivent parfois des projections massives très intrusives de leurs parents malades, ils doivent parvenir tant bien que mal à se construire malgré tout).


Un soulagement fort apparaît chez les jeunes ou les enfants quand ils comprennent qu’ils ne sont pas responsables de la maladie de leur parent.
Il est important de les aider à revenir à leur place d’enfant, leur expliquer qu'ils ont droit de retourner aux jeux insouciants de leurs âges autant que faire se peut dans le contexte et de leur expliquer que des adultes dont c’est le métier s’occupent de leur père, de leur mère malade.
(parfois en ambulatoire, parfois au cours d’une hospitalisation)

Le risque est que l’enfant, centré sur le parent malade, développe un vécu de contrôle de son vécu interne et un déni de ses propres émotions, ce qui  est dommageable pour la construction harmonieuse de son Moi.

Parfois même, ils s’en veulent de voir que l’état du parent ne s’est pas amélioré malgré toute la gentillesse et les efforts qu’ils ont déployés dans cette relation parent/enfant.

Ils n’ont pas été de suffisamment bon « petits soignants/thérapeutes en herbe »….. Ces stratégies de défense et de protection permettent d’occulter une souffrance très importante et très présente chez eux.


Pourquoi «  dénier » les questions pertinentes des enfants ? :

    Il existe peu d’étayages bibliographiques sur le sujet, peu d’ouvrages, dans les thématiques de thèse en psychopathologie ou en recherches psychanalytiques, c’est un sujet de recherche peu étudié.
Tout laisse à penser que c’est un sujet de recherche qui n’intéresse pas ou parce qu’il revêt des vécus singuliers très divers et que ses contours sont flous, peut être apparaît-il hasardeux d’en constituer un sujet qui serait complexe à traiter ?
     Très singulière, la destinée des enfants de parents malades mentaux (surtout ceux présentant des psychoses) connaît des développements extrêmement variés, rien est écrit à l’avance.
Certains développeront des parcours intéressants et singuliers, cela est une bonne chose, mais beaucoup d’adultes, anciens enfants de parents malades mentaux, expriment combien ils se sont sentis seuls, combien ils ne se sont pas sentis légitimes à dire que c’était extrêmement difficile à vivre au quotidien, qu’ils auraient voulu bénéficier de la présence de professionnels pour l’évoquer avec eux. 

Pourquoi ne pas accompagner l’enfant à donner du sens à ce qu’il vit en suivant son rythme :

    Avec la manifestation « des crises » la maladie du parent est un fait réel.
Confronté ainsi à cette réalité difficile, la verbaliser et être accompagné à le faire par les adultes peut permettre  à l’enfant de ne pas fantasmer des choses qui ne sont pas vraies. (et qui peuvent être plus angoissantes encore )
    S’il est soutenu par ses proches ou des intervenants formés, il peut s’autoriser à se dégager de certaines responsabilités et s’autoriser à réinvestir son univers d'enfant.

    Accompagner ses enfants sur le plan psychologique, c'est se préparer à écouter les questions pertinentes et avisées de ces enfants, des questions qui peuvent mettre les adultes mal à l’aise, des questions brillantes mettant en avant une grande curiosité sur leurs environnements. 

    Parfois la vivacité de l’enfant pendant les consultations conjointes, (sur demande de l’enfant quand elles ont la chance d’exister) psychiatre du parent et présence du pédopsychiatre/ psychologue (l’enfant a besoin d’un espace professionnel pour verbaliser)  contraste avec l’apparence du parent présent, qui selon sa pathologie, sera soit abattu dans le cas de dépressions graves, soit très sédaté, endormi (dans les médications lourdes dans le cadre des psychoses).

Et bien ce temps partagé «  improbable », « singulier » qui peut être aussi un moment  éprouvant à vivre pour les professionnels du soin psychique  est à appréhender par le corps médical et le milieu psy avec toute la largesse d’esprit et le professionnalisme possible.
Ces moments sont une grande aide apportée aux enfants.  

Si l’enfant demande des explications, a besoin d’un lieu pour exprimer ses angoisses, cela doit être entendu.
Combien d'enfants doivent endosser des responsabilités matérielles et psychologiques importantes du fait de la maladie d'un proche ?
témoignage d’une adolescente très lucide sur ce qu’elle vivait :

 «  Nous, on a toujours accompagné ma mère à la consultation, le médecin venait la chercher dans la salle d’attente et ne nous disait ni bonjour ni au revoir. Il ne nous a jamais expliqué pourquoi il lui donnait des médicaments sans qu’elle aille mieux. Et il ne se rendait pas compte qu’à l’extérieur, elle se contenait, mais qu’à la maison il y avait des moments parfois terribles et que c’est nous, les enfants, qui devions aller chercher les médicaments à la pharmacie et les lui donner. »(extrait issu d’un article du livre « l’enfant de parents en souffrance psychique » édition eres)

La réduction des durées d'hospitalisations (même psychiatriques) aujourd’hui accentuent encore ce phénomène. Les dispositifs d'aide  associatifs existent, mais ils demandent de l’aide, sont insuffisamment développés.

 

L’enfant confronté à la souffrance psychique d’un parent a besoin de comprendre pour s’en sortir. Il a besoin d’en parler.
Les intervenants ont d’autant plus de mal à cerner les difficultés des enfants que tout dépend de la sévérité des troubles et du degré d’atteinte de la maladie du parent.
    En effet parfois une maladie mentale stigmatisée considérée «  grave » habitiuellement dans ses symptômes  n’envahit pas tant que ça les proches au quotidien car le malade est bien stabilisé ( suivi adapté autour de lui, trépied solide, médecins psychiatres) ou présente peu de crises, comme à d’autres moments ça peut être de nouveau « l’enfer » à la maison.

Parfois ça allait pendant plusieurs années, mais la maladie s’aggrave.
Il y a beaucoup de « hauts » et de « bas » dans le parcours de ces familles et à chaque fois cela peut impacter douloureusement l’enfant.
Les situations de ces familles sont complexes pour autant nous devons nous en soucier et les soutenir.

Les questions qu’il ne s’agit pas d’esquiver auprès des enfants et des adolescents :

    Confrontés de manière quotidienne à la maladie mentale de leurs parents, ces enfants ne mènent pas une existence ordinaire à laquelle ils aspirent. Ils affrontent aussi le regard des autres, le jugement de la société face à des individus « or des clous » « or normes » qui ne correspondent pas aux critères normatifs en place.

En grandissant avec la maladie de l'autre, ils finissent toujours par se questionner sur les autres et eux, ils ont besoin d’avoir une compréhension fine des troubles psychiques et mentaux.

Ces questions sont fréquentes, ils doivent pouvoir les poser, les écrire, avoir un adulte qui tente d’y répondre au mieux avec tout son art de psychiatre/psychologue/psychothérapeute. Ils s’agit d’aider l’enfant à recadrer cette relation, l’aider à comprendre.

Qui est normal ? Qui est pathologique ? Qu'est-ce qu’une maladie mentale ? Et comment s’en accommoder ? Est-ce transmissible ? Suis-je aussi mentalement perturbé ? Ça veut dire quoi être fou  ? Quelles sont les conséquences de la maladie sur mon vécu, mon avenir ? Est-ce qu’on peut soigner la souffrance psychique ? Est-ce que quand je me sens un peu stressé, angoissé, je vis la même chose que mon parent ? Quel est le degré de souffrance de ma mère/mon père ? 

Voilà toutes les questions que souvent les enfants se posent. 
    Suivant ses intuitions et son sens de l'observation, l’enfant est alors davantage conforté dans l'idée que son parent est à la fois fragile sur le plan psychologique et parfois même « bizarre » dans ses attitudes. Il a droit de le dire, de le nommer, de ne pas chercher à toujours « protéger » l’autre, pouvoir dire combien c'est difficile à d'autres adultes. Dans les faits, ses "enfants parentifiés" sont très fréquemment extrêmement soucieux de ce parent et le contredisent peu. 


Des enfants « thérapeutes », « soignants » : 

    Pour avoir accompagné de nombreux adultes, anciens enfants, de parents en grande souffrance psychique pendant leur enfance, je reconnais le sentiment de solitude inouïe dans lequel ils se sont trouvés enfant, avec des familles toutes proches,  comme tenus prisonniers entre les murs d’une maison ou un adulte fait rage par ses crises, ses tumultes.
Selon le développement de la maladie, la souffrance psychique devient envahissante et occupe tout l’espace relationnel de la famille.
    L'enfant en ressent beaucoup de sentiments ambivalents avec de l'angoisse, de la colère, de la tristesse, de la culpabilité, parfois même des troubles anxio-dépressifs.
La plupart des enfants de parents malades mentaux se sentent très responsables de leurs parents, voir livrés à eux-mêmes.
L’enfant se perçoit comme différent des autres, profondément atteint dans son narcissisme et son individualité.
Il se parentifie rapidement tout en risquant de porter lui-même et à bout de bras la pathologie de son parent.
L’enfant de parents malade psychiquement est pris dans un réseau complexe d'identifications et de projections.
 Lorsque l’enfant appartient à un milieu trop carencé, quand la maladie du parent est trop envahissante au quotidien, nous pouvons parfois observer  " un enfant vide", sous-alimenté narcissiquement. (loin de ses ressentis propres, de ses propres émotions qui ne sont ni nommés ni encouragés)

Conclusion

    L’enfant est un sujet en construction, du fait de sa dépendance aux adultes, il a besoin de demander aux adultes « le sens «  de ce qu’il vit, surtout quand ce qu’il vit avec un parent le plonge dans un vécu d’étrangeté. C'est-à-dire que les adultes doivent appréhender qu’il n’est pas passif face à son environnement.

C’est un être en devenir, il possède déjà une représentation personnelle, fût-elle inconsciente, des événements qu’il vit.
Même si l’environnement auquel l’enfant est exposé est particulier, difficile, il s’est structuré très tôt en fonction de cet environnement, de ce qu’il a rencontré auprès de l’Autre. 
L’absence « d’une parole humanisante » sur ce qu’il vit, au sens de Françoise Dolto, peut être délétère, une parole prononcée par un Autre qui humanise, la situation douloureuse qu’il traverse et qui donne du sens pour l’enfant à ce qu’il est en train d’expérimenter et de l'espoir pour la suite de sa vie. 
Le quotidien de ces enfants confronté à la réalité de la maladie psychique ou mentale d’un parent reste un lourd fardeau.
    Malgré cela, on observe que ces enfants sont matures très jeunes, développent beaucoup de sensibilité et d’empathie envers les autres, développent une appréhension de la vie singulière, ils apprennent à en aimer d’autant la vie.
    Cependant, la vigilance s’impose. Dans certaines conditions, les enfants souffrent trop et sont accablés par la situation trop difficile qu’ils traversent.
    Ils vivent parfois des situations familiales les plongeant dans des angoisses invalidantes et massives, trop perturbantes pour un enfant en pleine construction, dont ils auront parfois du mal à se relever. Il s’agit d’en être conscient. Des existences adultes peuvent être durablement entachées par ces vécus d’angoisses massifs traversés dans leurs parcours d'enfance auprès d’un parent malade.

À l’issue de cet article, une première conclusion apparait :
il semble important de leur donner la possibilité de s'exprimer et de veiller à ne pas les laisser dans une solitude difficile pour eux.
    La rencontre avec la souffrance psychique de l’adulte amène l’enfant à se poser des questions existentielles parfois angoissantes, à appréhender sans soutien extérieur.
Il est amené à réfléchir non seulement sur la réalité de la condition humaine, mais également sur la construction de son propre moi, de son identité, très tôt.
    Préoccupante, la santé psychique des enfants de parents malades psychiques ou mentaux devrait donc faire l’objet d'une considération plus importante, au niveau psychosocial.

Des psychiatres, des psychologues, des psychothérapeutes, des soignants, alertent sur ce point. 
  Les professionnels sont conscients que la prise en charge de ces enfants est au cœur du débat public, qu’ils doivent en parler et l’évoquer lors de colloques, lors de groupes de travaux, d’articles, d’études, dans les médias, les pouvoirs publics doivent en prendre conscience avec eux.

 

Bibliographie :

L’enfant de parents en souffrance psychique, ed Eres

Recherches bibiographiques et lectures, site le Cairn


texte en cours de travail