La sémantique

Le champ sémantique du vent ou de la tempête dans le discours psychothérapeutique comme métaphore d'une circulation psychique, d'un quantum d'affect peut être même la manifestation de l'angoisse (Angst)    Texte en cours de travail de Christelle Bausson  

 

Dans le travail en psychothérapie, il n'est pas rare que lors du déroulement des séances, des personnes évoquent des images et une thématique en lien avec les éléments de la nature.
C'est comme si le champ lexical de la nature utilisé en séance entrait dans une forme de résonance polysensorielle avec l'expression des affects.
Des éléments de compréhension de ses propres émotions et motions pulsionnelles, sont exprimés en utilisant ce champ sémantique.
L'évocation de la sonorité de la tempête, de l'effet du vent comme expression de ce bouillonnement intérieur, qui viendrait parler du quantum d'affect, d'un mouvement permanent.
Il y aurait quelque chose d'une "inexactitude féconde", les vents soufflent dans des sens opposés, parfois même dans des vents contraires,  il y aurait " une thermodynamique générale du désordre intérieur".


La tempête vue comme une projection des sentiments, d'une expérience vécue par soi. Les mots, le langage sont le principal instrument du travail dans le cadre psychothérapeutique, que ce soit pour le patient et aussi pour le psychologue/psychothérapeute dans le cadre interprétatif de la séance.
Le langage de l'inconscient double à tout moment le discours conscient, lequel donne un supplément d'ambiguïté latente qui peut se manifester dans les associations libres du patient.


Paroles de patients dans le cadre psychothérapeutique :
"le flot de mes pensées négatives arrive dans ma tête comme une tempête"
" mon mal-être je le ressens parfois comme une mer intérieure avec des vagues de plus en plus fortes"
" je suis agité par des tempêtes intérieures qui me font douter de moi"
" on vit intérieurement des tonnes d'émotions qui déferlent dans la même journée"
" le ciel bleu peut s'assombrir en un éclair à cause d'une pensée négative , une parole qui réveille un souvenir désagréable"
" heureusement qu'après la pluie, le soleil revient malgré tout "
"j'aimerais apprendre à apprivoiser les orages, qu'ils fassent moins de dégâts auprès de mes proches dans ma vie personnelle"
La tempête illustrant aussi les affres de la dépression dans un texte qu'une patiente me lit :
"Une pluie de larme inonde mon visage, la séance avec le psychologue fait ressortir des émotions, j'ai du mal à reprendre le dessus sur la tempête intérieure. Je me demande comment va se dérouler cette journée. Mon psy me dit d'essayer d'accueillir cette douleur morale, souvent, je me juge trop, et je m'en demande trop.
J'ai honte de me sentir vulnérable, je suis pourtant entourée par mes proches, au bout d'un moment au fil de la journée, je réussis à me détendre, une éclaircie dans la journée, le soleil revient enfin, j'ai de nouveau de l'allant."

Pour Freud, c'est cette méthode de la libre association dans le discours qui va trouver l'un de ces principaux échos aussi dans l'interprétation psychanalytique des rêves.
Le langage de l'inconscient est un langage refoulé qui a sa propre logique.
Pendant le sommeil, "Le rêve est la voie royale d'accès à l'inconscient", pour reprendre les phrases de Freud.
Il y a le contenu manifeste du rêve (l'apparence) et le contenu latent (la part inconsciente qui est à déchiffrer).

Dans les métaphores utilisées dans le langage lors des moments de veilles, la part inconsciente reste aussi à déchiffrer
Pour Lacan, "l'inconscient est structuré comme un langage", il équivaut pour lui au déplacement observé dans le rêve.


La métaphore de la tempête :

    De même qu'un orage peut éclater sur un paysage familier et nous étonner par sa force, notre esprit est, lui aussi, tourmenté par des tempêtes intérieures.
Du Grec, méta-phora, " transport", la métaphore est une figure d'expression par laquelle on désigne une chose au moyen d'un terme qui en désigne une autre au moyen d'une analogie entre les 2 entités.
C'est un transfert implicite de sens dont la fonction est d'exprimer ce qu'une désignation directe ne dit pas.
La tempête peut être le reflet de quelque chose d'extérieur qui peut trouver des correspondances dans quelque chose de notre psyché.
    En psychanalyse, la métaphore se construit comme immédiatement présente, comme collée à la situation, il s'agit d'une réponse sensible avec une idée, dans un contexte émotionnel particulier, l'espace de l'analyse, que l'analyste va utiliser afin d'aider le patient à élaborer.
Il s'agit d'un collage avec un travail analogique qui résulte d'un cheminement assez complexe effectué en amont par l'analyste, souvent développé au cours de son propre travail psychothérapeutique.  
Le registre analogique Freudien permet d'utiliser les métaphores.
Métaphore se dit ( Vergleichen) dans la langue de Freud
Analogie se dit ( bild)
comparaison se dit ( gleichnisse)
Les métaphores dans l'œuvre freudienne sont empruntées aux registres archéologiques, médico-chirurgical, scientifique : soit minéralogique, chimique, botanique, astronomique, mais aussi politique, historique, économique ou, militaire.
La psychanalyse pourrait se voir comme l'exploration des couches de sédimentation du passé et reconstruction en décomposition "analytique" des motions pulsionnelles sur le psychisme.


La créativité dans le langage :

    Utilisons la mythologie Grecque :
Eole , dieu du vent, coud toutes les ailes du vent impétueux, car le fils de Cronos l’en a fait régisseur.
À son plaisir, il les excite et les apaise.
Entre le vent et la tempête, que se passe-t-il ?
Le vent mené à un tel degré, que nous n’avons plus d’autres choix que d’accepter le mouvement et la surenchère.
Peut-être parfois vivons-nous en nous même de fausses tempêtes ?
Faire sortir des mises en scène en soi, différentes scènes en soi, au cœur même de la tempête.
Tenter de se libérer de nos chaînes !
Ne serions-nous pas les maîtres de nos éléments intérieurs ?
Le langage des éléments de la nature serait en nous-même.
 "Tempestus », moment du jour puis état atmosphérique en général puis enfin spécifiquement « mauvais temps » .
Il est peut-être là le secret au fond ?
Accueillir en soi ce qui circule et nous anime serait, regarder les éléments du monde et de la nature.
Ne fait-on pas partie de ces éléments ? Ces éléments n’animent-ils pas notre nature profonde comme un songe ?
Ne retrouvons-nous pas l'espace psychique du rêve Freudien?
La tempête est probablement le vent de cet après midi, je ne m’en souviens tout à coup.
Il y a une correspondance entre la tempête météorologique et la tempête de l'âme.
Il y aurait un "moi météorologique", chaque jour certaines personnes ont besoin de prendre de ses nouvelles.
Convoquer les mots qui évoquent la nature et tenter de sentir de quelle façon ils résonnent en nous, à partir des différents sens, comme un retour vers soi.

" Les mots enregistrent nos alibis, notre nécessité que cela soit ainsi, notre besoin de sens, de fidélité, de partage, notre croyance que l'on se parle la même langue, que les mots pourraient à eux seuls changer quelque chose, et c'est vrai, si leur puissance est telle, c'est qu'elle est liée à cette émotion première, définitive qui les lient à notre corps. Notre corps pensant, espérant, nos corps éperdus et pleurant et libres aussi, parfois des mots". ( Eloge du risque de Anne Dufourmantelle, édition payot-rivages)

 Le vent qui se lève, une métaphore de la colère :

   Peut-être s’étonne-t-on quand le vent se lève ?
Ce vent que l’on prend de face tout à coup nous rend presque haletant, nous prenons trop d’air, alors nous nous dégageons pour faire dos au vent.
Que nous enseigne-t-il ? Avec le vent qui souffle plus ou moins fort et plus ou moins fréquemment, certainement ne savons-nous pas toujours, de nos souvenirs, lequel vient-il convoquer ? Peut-être s’étonne-t-on aussi quand le vent intérieur, notre vent à nous, nous secoue, formant alors un trouble, un mouvement ?
Les artistes ont beaucoup décrit les tempêtes comme si c'était comme cela qu'ils voulaient représenter "les tourments de l'âme", "le déchaînement des passions", "les sentiments extrêmes". Le premier sens du mot tempête est : "violente agitation de l’air, souvent accompagnée de pluie, grêle, éclairs et tonnerre".
Terme de météorologie : "tempêtes, vents violents qui, après avoir soufflé un certain temps dans la même direction en changeant quelques fois plus ou moins brusquement".
Un 4e sens signifie « grande agitation de l’âme »« la vie de tempête suspend, frappe et pénètre » Pascal, passage de L’amour.
Mais aussi querelle entre deux personnes : « pour peu que l’on s’oppose à ce que veut sa tête, on en a pour 8 jours d’effroyables tempêtes ; elle me fait trembler dès qu’elle prend son ton ». Molière Femmes savantes/ II /9

 

Les artistes et l'imaginaire comme tremplin aux représentations psychiques :

    Les artistes ont utilisé la dramaturgie de la tempête comme une métaphore de nos affects, ainsi l'on peut exprimer le registre du champ de la confusion et de l'effroi, de l'attendue et de l'inouï.
Les récits des tempêtes de Chateaubriand à Hugo, l'avant-tempête et l'après-tempête décrivent les différentes étapes des émotions.
Victor Hugo va comparer sa vie à un navire en détresse, un navire dans la tempête.
(Ma destinée de V Hugo)
Baudelaire dans son texte "La musique" décrit aussi ces mouvements :
La musique est comparée à la mer, le dénominateur commun des deux termes est le mouvement.
S'observe le rythme musical, celui des vagues, le flux et reflux de l'eau.
Les variations de la musique et les dangers du voyage en mer sont deux analogies à la vie intérieure, à la vie psychique de Baudelaire, en proie à la joie comme aux longs tourments.
La tempête présente "des convulsions".
Derrière ces thèmes "musique" et "vent", ce sont surtout les émotions et les sentiments contrastés de l'auteur qui sont exprimés.


1821 - 1867
"La musique
La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile ;

La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile,
J'escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile ;

Je sens vibrer en moi toutes les passions
D'un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions

Sur l'immense gouffre
Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir !"

Au 19e siècle, des sciences vont voir le jour : La météorologie et la biologie marine.
On ne pourra pas empêcher les tempêtes, mais on pourra les anticiper avec l'observation de l'état du ciel, des nuages et de la mer.
Ces inventions scientifiques viennent nourrir l'observation en psychologie.
    Dans le fonctionnement psychique, le patient, au fil de la psychothérapie, apprend à observer et à anticiper les signes qui font que l'angoisse apparaît pour lui, surgit même parfois comme des parcelles d'angoisses, "sortes de pensées parasites".
Il apprend à " reconnaître", "adoucir" à "assouplir" les traits de personnalité" symptomatiques au cours du travail afin d'apaiser cette angoisse créé souvent par "le retour du refoulé".
Il y a peut-être "un état météorologique" de l'âme.....
Les éléments de la nature dans la sémantique du langage viennent comme des métaphores qui  réveillent le destin d'une motion refoulée et qui montrent ce qui en résulte de ces quantités d'affects restés à la surface.
Dans le fonctionnement psychique, pourquoi le processus de refoulement est enclenché ?
Les symptômes que produit l'individu vont modifier sa réalité extérieure et le rapport qu'il entretient  avec cette réalité extérieure.
L'angoisse souvent présente dans la névrose : "serait une forme, image de souvenir, symbole d'affect". (De l'angoisse : Psychanalyse des peurs individuelles et collectives, Michèle Bompard Porte edition Armand Colin)
Les périodes d'angoisses créent un déplacement dans la psyché tel qu'ils créeraient le refoulement en utilisant cette forme ( image de souvenir, symbole d'affect")
( Inhibition, symptôme, angoisse, Sigmund Freud)


 La circulation psychique du vent allant jusqu'à l'expression de l'angoisse :


  La tempête vue comme une équivalence entre les événements extérieurs et intérieurs,
(une analogie avec l'angoisse).
"Prendre en compte la puissance du JE dans sa relation aux "affects connexes"(...)
Les sources de l'excitation provoquant l'angoisse seraient toutes les fonctions de "bord" du JE, ou des excitations extérieures ( reize) lui deviennent interieures ( erregungen). Toutes les afférences sensorielles en feraient partie- toute discontinuité dans une sensation crée un germe d'angoisse ( vigilance)".

   De l'angoisse: Psychanalyse des peurs individuelles et collectives, Michèle Bompard Porte édition Armand Colin.p. 131.
Le vent, ce sont des courants d’air plus ou moins rapides occasionnés par les changements qui surviennent dans la pesanteur spécifique et le ressort du fluide atmosphérique. « Le 6 juin, les vents passèrent au Sud est ; le ciel devint blanchâtre et terne ; tout annonçait que nous étions sortis de la zone des vents alizés ».
L'expression du champ sémantique du vent serait la circulation " psychique", (un quantum d'affect ), la tempête serait une quantité d'affect plus importante, peut être même l'expression d'une "lutte" du retour du refoulé, allant dans ces versions les plus fortes jusqu'à l'expression de l'angoisse.
Au sens figuré, « hasarder quelque chose », mettre la plume au vent.
Le vent nous interroge ! Est-ce une mise en scène tout à coup ce vent qui se lève ? Nous comprenons qu’il y a bel et bien de l’imprévu ! De l’improvisation.
Le vent est t'il plus doux que la tempête ?
Peut-être est-il la réhabilitation d’un passé, " le retour du refoulé" qui serait oublié, enfoui, de telle sorte que ce vent ramène avec lui sur nous, le vague souvenir de lui-même. Ne pourrait-on pas utiliser la métaphore du vent, en se disant que quand le vent souffle en nous-même, il nous rappelle un passé mobile et peut-être pouvons-nous envisager l’avenir sur une légère brise ? En d’autres termes, pourquoi pas sur une certaine circulation atmosphérique plus apaisée.
La tempête est l’introduction d’un doute entre la réalité et le rêve, comme réactualisation d’un souvenir. La conscience de soi, n'est-ce pas être confronté à la circulation de ce tumulte en nous-même ? La tempête n'est-ce pas le vent le plus fort, "le plus tourmenté" ? Le vent le plus difficile, celui qui va nous faire bouger le plus, nous remuer le plus ?
Quelle distinction entre le vent et la tempête ? Le vent crée aussi des mélodies. C’est une sorte de langage qui dit quelque chose.  
Ou une nature « incarnée » qui aurait bien des choses à nous dire, aussi, dans ses silences ? Les éléments de la nature auraient des choses à dire à notre humanité, dans leurs silences ou dans "leurs mélodies du vent et de ses tempêtes". Le mutisme du vacarme de la nature…. Ne sommes-nous pas ramenés à notre condition face au pouvoir de la nature déchaînée ?


Conclusion :


    "Dans ce vent, je regardais la beauté du ciel, un ciel gris et changeant qui ressemblait à mon humeur". (parole de patient)
Que vient nous dire notre tempête intérieure ?
Ne se rappelle-t-elle pas à notre mémoire ?
Est-ce un rêve ou un souvenir, ce vent qui souffle ?
La mémoire elle-même n’est-elle pas une modalité du rêve ?
Quelle différence entre le souvenir et le rêve ?
Ne peut-on pas parfois oublier les deux ?
    Dans le songe d’une nuit d’été, les amants ne se souviennent plus de rien à leur réveil. L'oubli ! L’enchantement de la nature qui jette un sort doux avec la potion de Puck sur les paupières de Hermia, Héléna, Dimitri et Lysandre.
    Accéder à son être demanderait du travail. Mais plutôt que d’un travail, ne peut-on pas voir ce chemin comme celui de la circulation d’un vent intérieur ? Les chercheurs en océanographie travaillent sur le vent dans la circulation océanique. Et que nous rappellent-ils ?
Que l’origine des mouvements atmosphériques et océaniques est le soleil.
Et en subsurface de l’océan, la tension de vent disparaît, les forces de pression induisent un sous-courant en sens contraire. Avec notre conscience aussi peut-être, évoluons-nous sur "des forces de pression" ou agités par nos circulations, nous manions les voiles et naviguons dans le tumulte de vents contraires.
Le psychologue/psychothérapeute reste là, dans sa force soutenante, il est là, sur la rive, ni trop loin, ni trop près, il permet " un pas de côté".

Après la pluie, le soleil revient, il devient possible de naviguer dans cette mer apaisée, le professionnel resté sur le bord peut rester là un moment, il encourage les manœuvres du navire de plus en plus assurées, l'individuation devant les événements intérieurs comme extérieurs est retrouvée.
Il est probablement là le secret !
    Naviguer dans "notre circulation océanique" et cela en "douceur" et en conscience est peut-être au fond accepter « nos contradictions », "nos vents contraires", comme lors des mouvements atmosphériques, les mouvements de forces (psychiques) font disparaitre les tensions de vent "sous la surface" de notre " Moi-océan". 

"Se retrouver" permet de nouveau d'avoir de l'allant. 
Quand sur « notre littoral intérieur » la circulation océanique fait déferler les vagues, comme autant de mouvements contradictoires, ne montre-t-elle pas à quel point nous sommes en vie ?

  


Bibliographie:

 

  • Bribes de mots, paroles et texte de quelques patients, avec leur accord
  • Inhibition Symptôme Angoisse, Freud Sigmund
  • De l'angoisse, psychanalyse des peurs individuelles et collectives, Michèle Bompard-Porte, édition Armand Colin
  • Articles Psychanalytiques Cairn Info
  • Le littré