Ambivalence : Comment dompter notre nature contradictoire ?

Texte de Christelle Bausson

Introduction :

Le psychiatre Eugen Bleuler en 1911, a décrit l’ambivalence affective comme une “présence simultanée de deux sentiments opposés (attraction et répulsion), de deux directions opposées de la volonté, par rapport à un même objet”.
L’ambivalence affective est synonyme de contradictions. Elle témoigne de la grande complexité de l’être humain sur le plan émotionnel.
Elle génèrerait simultanément un mal-être très élevé tout en favorisant la conscience de soi.

 

Concept d’ambivalence :

La vie est une contradiction constante, les personnes souffrent en amour, ont besoin d’en parler.
Aimer n’est pas simple, l’amour exige une grande responsabilité ainsi qu’un engagement vis-à-vis de nous-mêmes et des autres.
Ce « tiraillement », provoqué par l’ambivalence, notre cerveau va avoir besoin de l’apaiser et de le résoudre.
Des études ont montré que ces types de contradictions renforcent notre créativité ; elles nous motivent à trouver des canaux pour réfléchir, nous calmer et créer des réponses originales pour les résoudre.
J'ai voulu prendre l’exemple dans la littérature de la relation de Lou Andréas Salomé et de Nietzsche, pour tenter de décrire ce que l’ambivalence amoureuse, malgré le grand inconfort qu’il fait advenir, est susceptible d’apporter au processus créateur.

 

Deux « natures » ambivalentes :

Nietzsche, grand philosophe, n’est plus qu’un bloc de douleur, lorsque Lou Andréas Salomé avec qui il a passé des heures, à parler de métaphysique, refuse la demande en mariage que ce dernier lui fait.
C’est à l’époque, où il vit cette douloureuse rupture, qu’il écrit Zarathoustra.
En dix jours, il écrit cette œuvre philosophique très riche, la première partie, « d’ainsi parlait Zarathoustra », qui reste un mystère dans la création. Nietzsche s’est peut-être permis d’écrire cette œuvre, avec tant d’acharnement, parce qu’il était pris dans une relation qui lui posait question.
Il avait, en face de lui, un Autre qui montrait des résistances, une force de caractère, et surtout qui le contraignait à accepter l’altérité et par là, la séparation, peut-être la nature même de sa propre ambivalence.
C’est en puisant dans les ressources de ses capacités de sublimation, qu'il a pu écrire, cette œuvre, malgré la souffrance qu’il ressentait, par son contenu, elle mêle des sentiments ambivalents d’amour,
moment où lui-même, dans sa vie personnelle, devait expérimenter la séparation et de la perte.
Que se serait-il passe, si Lou avait partagé, la vie et l’amour de Nietzsche ?
Probablement, n’aurait-t il, pas écrit cette œuvre.
Il est probablement simpliste, de faire porter le poids de cette œuvre, comme étant dû au refus de Lou Andrea Salomé quant à la demande en mariage de Nietzsche.
Mais, cet exemple me semble intéressant afin d’illustrer le fait que les qualités et les contradictions de l’auteur, mêlés à la douleur, engendrée par la perte de ce lien, lui ont permis de créer, cette œuvre.
Les œuvres d’art, sont en effet des productions du sujet. Il y aurait une correspondance, entre les créations artistiques et les compensations du désir.

C’était pour l’auteur, à ce moment précis, une tentative de guérison, afin de supporter, tant bien que mal, la perte suscitée par le refus de l’autre. L'ambivalence est un sentiment à l'œuvre.

 

Lou, l’originalité de sa pensée :

Lou Andréas Salomé, souligne l'importance qu'elle accorde à l'intégration de l'ambivalence et de la bisexualité psychique. Elle écrit à Freud : "Dans l'amour, c'est-à-dire pendant cet égocentrisme aigu, quand la femme paraît avant tout devenir femme et l'homme devenir homme, s'éveille alors dans le sexe opposé une réminiscence de sa propre nature ambivalente. C'est uniquement là, qu'il y a de l'amour, de la création."
Dans l’expérimentation du manque, la création artistique a peut-être pris la place de cette douleur impossible à dire autrement.

 

Conclusion :

Dans ce cas présent, la douleur et l’ambivalence de l’artiste souffrant dans l’élaboration d’une séparation, se trouve canalisée et atténuée par la création d’une œuvre philosophique.
Être créatif, c’est se sentir exister et vivant. La créativité donne une coloration, des couleurs, des contrastes, une diversité.
Winicott dit « Il s’agit, avant tout, d’un mode créatif qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue. »

Rilke poète dit dans le tumulte et les douleurs psychiques intenses qu'il traversait  : "Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l'accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses.”
Pour conclure, nous dirons que les contradictions émotionnelles dans les liens, les difficultés fortes parcourues au cours de la vie peuvent finalement produire "une lumière intérieure" à travers la compréhension de soi ; de ses contradictions ainsi que nourrir la création d'œuvres artistiques, littéraires etc..

“Les œuvres d'art sont d'une infinie solitude ; rien n'est pire que la critique pour les aborder. Seul l'amour peut les saisir, les garder, être juste envers elles. ” Rilke ( Poète et compagnon de Lou Andréas Salomé aux prises dans son art à son amour pour elle)